Vendredi 27 Janvier à 10h41 le navire de pêche le "Rumalo II" chavire.

Il est solide ce navire, comment est-ce possible? il a telle­ment fait ses preuves aux mains de Patrick puis de Jérémy en parcou­rant des milliers de Milles dans nos pertuis…

Mais la mer est mauvaise aujour­d’hui car elle a décidé, à trois jours de la date où il est encore d’usage de se souhai­ter des bons voeux pour une heureuse année, de s’op­po­ser aux tradi­tions.

Elle est mauvaise aussi parce que dans ces carrés du large répu­tés pois­son­neux qui devancent le plateau de Roche­bonne dans l’ouest des Baleines la houle ne rigole pas.

Et quand le vent et le coef­fi­cient s’ajoutent à sa puis­sance, ça grogne et ça s’en­tend de loin…

Grosse houle de Sud-Ouest venant de l’in­fini, mi-marée de vive eau descen­dante dont le flux s’op­pose à un vent de Nord/Nord-Est de vingt deux noeuds, c’est la guerre là bas quel que soit la taille de ton navire.

Que s’est il passé?

 

Bien que chacun de nous ait sa propre inter­pré­ta­tion nous on n’est pas là pour comprendre pourquoi les bateaux décident parfois de partir en voyage vers les étoiles de mer. Nous on est là pour sortir les marins du dedans de leur coque quand ils sont pris au piège dans leur dessous.

C’est pour ça que le Crossa Etel a missionné la Snsm de l’Ile de Ré ainsi que plusieurs moyens de sauve­tage, deux héli­co­ptères et les trois navires de pêche présents sur la zone pour tenter l’im­pos­sible.

« La seule chose promise d’avance à l’échec c’est celle qu’on ne tente pas », cette cita­tion de Paul Emile Victor pour­rait être l’Adage de la Snsm, elle motive par toute météo les sauve­teurs béné­voles à tendre leurs mains à la main mouillée salée du marin.

Alors nous y allons pour tenter!

A cette période de l’an­née les sauve­tages sont moins fréquents. La case « qui-vive » du cerveau est un peu conge­lée de l’hi­ver elle s’est mise en vacances, on est deve­nus sourds, mais néan­moins nous appa­reillons 14 minutes après l’alerte et nous sommes cinq à bord, c’est suffi­sant, ça devrait faire le job.

Par radio le Cross nous donne le point GPS du naufrage que nous rentrons dans la machine à carto tandis que deux équi­piers larguent les amarres.

Nous sommes à 24,5 nautiques du naufrage, 12 nautiques dans l’ouest sud ouest des Baleines.

45 kilo­mètres à parcou­rir avec une mer de travers démon­tée dans laquelle nous ne pour­rons pas donner toute la puis­sance de nos moteurs tant ça va être l’en­fer. C’est la raison pour laquelle nous indiquons un ETA ( temps estimé d’ar­ri­vée ) raison­nable de 1h03.

C’est parti pour la machine à laver, top départ!

Deux d’entre nous fort heureu­se­ment ont pu mettre leur combi­nai­son de plon­gée avant qu’on quitte le ponton car dés la sortie des remparts on ne peut plus dire: « une main pour toi une main pour le bateau » mais bien « deux mains pour toi et rien pour le bateau » si on veut tenir les 25 noeuds constants sans se broyer les côtes sur les cloi­sons.

C’est la guerre, tout vole à l’in­té­rieur, impos­sible de remplir le jour­nal de bord, compliqué d’uti­li­ser la radio vhf avec le Cross, juste écou­ter sur les ondes le dérou­le­ment de la scène pour prépa­rer notre mission. Nous n’avons pas de main dispo­nible pour calcu­ler les dérives vent/courant afin d’an­ti­ci­per une poten­tielle recherche sur zone, nous le ferons à l’ar­ri­vée.

La barquette et le plan dur naufra­gés sont arra­chés de leurs empla­ce­ments et volent dans la cour­sive avant, les palmes les combis les bottes, les stylos les télé­phones tout ce qui n’est pas forte­ment arrimé vont et viennent roulent tapent cognent. Il n’y a qu’une chose à faire, on fléchit comme au ski pour pas se casser les genoux et le dos et surtout on se tient des deux mains. La vedette elle, on sait qu’elle devrait passer mais nous faut pas qu’on aille se taper la tête aux carreaux.

Une vague encore plus forte que l’autre sur le tribord, le pilote est éjecté il se retrouve en bas une main heureu­se­ment bien cram­pon­née à la barre qui lui a sauvé l’as­som­mage sur la table à cartes. Pffff !!! Bon réflexe et merci à la chan­ce…

Allez on mollit pas on nous attend là bas, on fléchit on se cram­pon­ne… plus que trois quart d’heu­re….

Nos deux VHF sur les canaux de travail déroulent les infos. Entre les chocs des vagues nous parve­nons à entendre l’es­sen­tiel durant notre trajet.

Les deux mate­lots qui ont été éjec­tés à la mer pendant le chavi­rage ont réussi à monter sur la coque du navire.

La proue du navire émerge, ils sont dessus.

Le navire l’As­tro­labe les a récu­pé­rés à son bord.

Une équipe médi­cale est héli­treuillée sur l’As­tro­lable depuis Guépard Yankee pour un bilan médi­cal.

Deux plon­geurs sont héli­treuillés depuis Dragon17 pour inspec­ter la coque du navire « Rumalo II » dans laquelle pour­rait être coincé le Patron.

Les mate­lots resca­pés sous le choc, inquiets, d’une voix fébrile parviennent à indiquer aux secours comment est consti­tuée la passe­relle du navire ainsi que l’ac­cès aux couchettes pour aider aux inves­ti­ga­tions des plon­geurs.

Quelque temps après Le navire « Rumalo II » est signalé coulé.

Il y a 42 mètres d’eau sous la surface. On se regarde, pas besoin de parler… Pourvu que leur Patron ait pu se déga­ger de la poche d’air avant le grand saut….

Dragon17 a récu­péré ses plon­geurs et entame les recherches d’homme à la mer.

Guépard Yankee a récu­péré l’équipe médi­cale et entame ses recherches d’homme à la mer.

Tous les navires sur zone sont en veille atten­tive de la surface de la mer qui n’est plus une surface mais un terrain de moto cross fait de vagues et d’écume.

L’As­tro­labe fait route vers les Sables d’olonnes avec les deux mate­lots à son bord.

Nous arri­vons sur le point du chavi­rage, les deux héli­co­ptères sont repar­tis vers la Rochelle pour un ravi­taille­ment carbu­rant.

Le Cross nous a donné une zone de recherche type rectan­gu­laire à quadriller en bandes paral­lèles avec des passes serrées de 0,2 nautiques pour une visi­bi­lité opti­mum.

Nous avons trois équi­piers sur le pont équi­pés de jumelles clas­siques et ther­miques plus radios pour commu­niquer à la passe­relle.

Nous débu­tons nos patterns à 8 noeuds. Mer arrière notre vedette surfe sous la vague, mer devant elle percute et plonge dans les trous. Ils ont l’eau au dessus des genoux ils sont trem­pés les copains sur le pont mais ne lâchent pas la veille.

Notre rectangle de recherche est de 25 km2 du Nord au Sud avec des passes Est Ouest de 320 mètres. 5 paires d’yeux ne lâche­ront plus la mer à la recherche du moindre indice.

Il s’agit de lever tous les doutes, d’ins­pec­ter chaque crête chaque creux pour y décou­vrir une couleur qui ne serait pas dans l’in­ven­taire de la mer et du vent.

Après un rapide calcul de dérive nous déci­dons d’al­lon­ger notre troi­sième passe de recherche plein sud de 0,3 nautiques.

C’est à ce moment là que nous nous croi­sons le navire de pêche « Anna Mamm Mari ».

Ses marins en veille perchés au plus haut du navire viennent d’aper­ce­voir une forme suspecte entre deux trains de vague.

Ils nous font signe! Nous les rejoi­gnons.

Les marins nous dési­gnent un aligne­ment. Ils ont repéré une tache sous la mer. En l’ap­pro­chant nous décou­vrons un ciré jaune sous la surface du bouillon d’écume.

Nous venons à son vent, c’est lui… c’est le patron!

Nous le remon­tons à notre bord. Il pleut…

Non il ne pleut pas ce sont les larmes de l’Anna Mamm Mari à notre vent. Ses marins se tiennent debout au Séma­phore comme un garde à vous pour saluer leur copain et surtout, surtout espé­rer main­te­nant qu’il est à l’air libre que le vent scélé­rat saura chas­ser l’eau iodée qui est en lui.

Nous enta­mons immé­dia­te­ment la réani­ma­tion cardiaque la pose du défi­bril­la­teur et la mise sous oxygène.

La radio ne parle plus, le silence fait partie du réfé­ren­tiel pour augmen­ter les chances de réani­ma­tion. Nous seuls parlons au Cross pour, au fur et à mesure que nous appliquons nos gestes de secours, donner les constantes médi­cales.

Guépard Yankee ravi­taille­ment effec­tué récu­père une équipe médi­cale au CHU de la Rochelle.

Pendant que quatre d’entre nous main­tiennent les gestes de réani­ma­tion l’hé­li­treuillage a lieu bout au vent cap 32° vitesse 6 noeuds récu­pé­ra­tion par l’ar­rière. Nous faisons le yoyo, le plon­geur avec beau­coup de diffi­culté gagne notre bord.

Il est décidé que nous récep­tion­ne­rons le méde­cin sur la plage avant, trop dange­reux par l’ar­rière!

Nous prenons le cap 212°à 5 noeuds notre vedette est plus stable et sécu­ri­sante pour accueillir l’ur­gen­tiste.

Il s’ap­pe­lait Cédric

Il était jeune il était beau

Il était fort comme un roc.

Il connais­sait la mer et les carrés de Roche­bonne mieux que personne.

Il se levait tous les matins à 3 heures pour aller gagner sa croûte à la mer.

L’in­grate!

Il a rejoint ses cama­rades des gens de mer Yann, Alain, Dimi­tri et tant d’autres encore derrière la vague.

L’ac­cos­tage étant impos­sible dans cette mer nous trans­bor­dons Cédric à bord du canot tous temps 002 Jacques Joly à l’aide de leur annexe semi rigide.

C’est leur ami il leur revient ils le couvri­ront de tendresse pour le retour à la maison.

Nous rentrons le coeur en berne.

Nous avons tenté.

Les Sables d’Olonnes une fois encore pleurent un enfant.

La mission aura duré 5 heures.